dimanche 22 janvier 2012

Hymne


Titre : Hymne
Auteur : Lydie Salvayre
Genre : Roman biographique
Appréciation : J'ai adoré

Résumé : Le matin du 18 août 1969, à Woodstock, Jimi Hendrix joua un hymne américain d’une puissance quasiment insoutenable.
Parce qu’il avait du sang noir et du sang cherokee mélangé de sang blanc, parce qu’il était donc toute l’Amérique, parce que la guerre au Vietnam soulevait en lui un violent mouvement de refus que toute une jeunesse partageait, parce que sa guitare était sa lady électrique, sa passion, sa maison, sa faim, sa force et qu’il en jouait avec génie, Jimi Hendrix fit de cette interprétation un événement.
Revenant sur ce moment inoubliable, Lydie Salvayre tire les fils de la biographie pour réécrire la légende de Jimi, sa beauté, sa démesure, mais aussi sa part sombre, ses failles et la brutalité du système dont il était captif et qui finirait un jour par le briser.

(Résumé repris du livre)

Extrait :

On dit qu'il ne s'aimait pas. Que sa timidité incurable venait de ce qu'il ne s'aimait pas
Qu'il n'avait aucune assurance aucune. Qu'il demandait souvent à ses proches Est-ce qu'on me prend pour un pitre ? Est-ce que je ne suis pas ridicule avec ce chapeau ?
On dit qu'il ne sortait de sa timidité que pour être, sur scène, l'audace même.
Il fut, le 18 août 1969, l'audace même.
Il fit ceci : il s'empara de l'Hymne et il le retourna.
Il eut ce front.
Il prit ce risque.

L'hymne entonné en prélude aux allocutions du président Nixon, l'hymne qui résonnait lors des célébrations de tueries héroïques, l'hymne intouchable, l'hymne immuable, l'hymne de la superpuissance blanche classée n° 1 au hit-parade des pays producteurs de bombes : au napalm, au phosphore, à la dioxine, au graphite, tritonales, à fragmentation, à guidage laser, à sous-munitions, il y en avait pour tous les goûts, l'hymne d'amour de la patrie, car amour et patrie sont deux mots qui parfaitement s'accolent (j'ai à l'esprit un autre verbe que je n'ose pas écrire), l'hymne des braves boys qui savaient opposer leur mâle résistance à la propagation communiste avec l'aide miséricordieuse de Dieu et suivant la méthode imparable du search and destroy encore appelée civilisatrice, cet hymne-là, il s'en saisit et il le renversa.
L'hymne sacré, symbolique, scrupuleusement respecté, l'hymne régimentaire qui avait envoyé son ami Larry Lee se faire trouer la peau dans les jungles du Vietnam, l'hymne qui accueillait en fanfare les GI morts au combat, lesquels arrivaient de Saigon en emballage capitonné, car sacrifier sa vie à la lutte contre le Mal méritait amplement un emballage capitonné, la patrie reconnaissante ne reculant devant aucun sacrifice, l'hymne sanglé de la tradition, l'hymne engoncé dans son uniforme, l'hymne bêlé à l'école, en cadence, un-deux, l'hymne vidé de sa substance et braillé sur les stades Oh dites-moi pouvez-vous voir dans les lueurs de l'aube ce que nous acclamions si fièrement au crépuscule, l'hymne qu'on chantait sans l'entendre, depuis le temps, l'hymne embaumé, l'hymne empoussiéré, l'hymne pétrifié de la nation, il l'empoigna, le secoua, et aussitôt en fit jaillir une liberté qui souleva l'esprit.

C'est de The Star Spangled Banner que je parle. C'est de ce morceau si légitimement fameux que Jimi Hendrix joua à Woodstock le 18 août 1969, à 9 heures, devant une foule qui n'avait pas dormi depuis trois jours, et que j'écoute des années après, dans ma chambre, avec le sentiment très vif que le temps presse et qu'il me faut aller désormais vers ce qui, entre tout, m'émeut et m'affermit, vers tout ce qui m'augmente, vers les œuvres admirées que je veux faire aimer et desquelles je suis, nous sommes, infiniment redevable.»

Critique : Hymne est un livre très particulier. Salvayre part d'un évènement qui la touche profondément pour écrire ce que l'on pourrait appeler une biographie, mais qui ne veut pas être un documentaire savant, elle le dit elle-même, ce qui fait que le roman est assez inqualifiable. Le style même est d'abord un peu surprenant (mais pas plus que du François Bon par exemple), mais très sincère, contrairement à certains auteurs contemporains qui pensent qu'il suffit d'un style bizarre pour avoir l'air original.

J'avoue ne pas être une grande fan de Hendrix. Je n'ai jamais trouvé de force particulière à ses chansons comme à ses prestations, pour moi, il ne s'agit de rien de plus que du bon rock, un peu trop teinté de soul mais riche de ses racines blues. Or, ce que j'ai aimé, justement, c'est que, même s'il ne fait aucun doute de Lydie Salvayre est une fan et écrit en tant que fan, malgré le point de vue subjectif, on n'est pas obligés d'aimer particulièrement Jimi pour apprécier, ni de savoir ce qu'il se passa à Woodstock en cet été 69.
La seule chose que je reproche à Lydie Salvayre, qui vient peut-être du côté fan-en-admiration, ce sont les répétitions d'idées (pas les répétitions, volontaires, de phrases ou d'expressions). Arrive un moment où l'on commence, par exemple, à savoir que l'Hymne torturé est bien plus vrai que celui qu'on joue dans les cérémonies officielles.

Mais l'écriture est forte, directe, fougueuse — comme la musique de Jimi — et on entre facilement dans le roman. On accroche au personnage Hendrix autant qu'à sa force créatrice qu'il révèle toute entière, selon l'auteur, à travers l'hymne américain distordu tel un cri de liberté, tel l'expression de toutes ses racines et de toutes les racines de l'Amérique, à cette époque en pleine guerre du Vietnam.Un livre flamboyant et très fort, que je ne peux que vous recommander.

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