mardi 23 août 2011

Trudi la naine


Titre : Trudi la naine
Auteur : Ursula Hegi
Genre : Historique
Appréciation : Génial

Résumé : "Enfant, Trudi Montag croyait que chaque être humain savait ce qui se passait dans la tête des autres."
Trudi Montag vit à Burgdorf près de Düsseldorf. Trudi est naine. Souvent seule, sujette à mille et une brimades, elle passe son temps à observer ceux qui ne la voient pas. Jour après jour, Trudi raconte les autres, leurs secrets les plus sombres et les plus inavouables. Au fur et à mesure que s'accroît le pouvoir d'Hitler, elle nous dit ce que chacun choisit de se rappeler ou d'oublier. La résistance à la barbarie pour les uns, le mensonge et la compromission pour les autres. De la défaite de 1918 jusqu'au silence collectif de la période nazie, c'est tout un pan de l'histoire allemande qu'évoque Ursula Hegi au fil d'une narration éblouissante et audacieuse.

(résumé repris du livre)

Extrait :
Trudi l'enlaça de ses deux bras et lui serra fort le cou. La fourrure de renard lui chatouilla le menton. Elle aurait bien aimé appeler Mme Abramowitz par son prénom, Ilse, tellement plus joli qu'Abramowitz, mais les enfants devaient appeler les adultes par leur noms de famille et leur donner du Sie - le "vous" de politesse. Seuls les enfants avaient droit aux prénoms et au du - le "tu" familier. C'était d'ailleurs un des bons côtés de l'enfance. Beaucoup d'adultes s'appelaient mutuellement par leurs nom de famille pendant toute leur vie, et, s'ils acceptaient de passer aux prénoms, ils devaient au préalable faire bras dessus bras dessous devant une bière ou un schnaps avant d'oser le tutoiement.
"Vas-y, Trudi, insista Mme Abramowitz. Raconte-nous ta blague.
- C'est une histoire sur saint Pierre." Trudi essaya de se rappeler la blague qu'elle avait entendu raconter, un mois plus tôt, par Emil Hesping à Leo, le jour où il était venu à la bibliothèque pour annoncer qu'il dirigerait un autre club de gymnastique à Düsseldorf, un club plus grand que celui de Burgdorf et appartenant au même homme, qui lui avait proposé d'ouvrir des clubs aussi loin qu'à Hambourg ou Cologne.

"C'est l'histoire de la Vierge Marie, commença Trudi, qui décide de passer trois semaines sur Terre. Alors saint Pierre exige qu'elle lui écrive toutes les semaines... La première semaine, elle raconte qu'elle a vu trois églises et deux musées, et elle signe sa lettre "Vierge Marie"..."

Le docteur Rosen, qui venait d'entrer dans la cuisine, haussa un élégant sourcil. Eva, avec ses grands yeux alertes, était agrippée à la ceinture de sa mère. Trudi l'avait déjà vue souvent - elle ressemblait à sa mère, longs poignets et bouclettes noires - mais ne lui avait jamais parlé, ne s'était même jamais approchée d'elle aussi près. Si elle rêvait bien d'une chose à cet instant, c'était d'être aussi grande qu'Eva.
Trudi la regarda droit dans les yeux. "Dans la deuxième lettre, lui dit-elle, voilà ce qu'elle écrit : "Cher saint Pierre, j'ai voyagé en train et sur un ferry-boat." Elle signe encore une fois la lettre "Vierge Marie". Mais la troisième lettre..." Elle s'arrêta de parler, espérant de toutes ses forces qu'elle raconterait la fin dans le bon ordre, histoire de voir Eva rigoler autant qu'Emil Hesping et son père l'avaient fait. C'était d'ailleurs comme ça qu'elle avait compris qu'il s'agissait d'une bonne blague, même si elle n'en avait absolument pas perçu l'aspect comique.
"Donc la troisième lettre dit ceci : "Cher saint Pierre, je suis allée dans une taverne et j'ai dansé avec un marin." Et cette fois-ci, la lettre est signée "Marie"." Elle attendit que le rire fuse, mais le seul son qui parvint à ses oreilles fut une quinte de toux sèche émise par Mme Weiler. La cuisine était plongée dans le silence. Un silence écrasant. Avait-elle oublié de raconter une partie de la blague ? Non. Quelque chose n'allait pas. Elle avait fauté. Il faisait très chaud dans la maison, chaud et leu à cause de la fumée des cigarettes, bien que les fenêtres fussent ouvertes.

Mme Immers chassa une mouche qui s'était posée sur la compote de fruits.

"Je ferais bien de jeter un œil sur la salade de pommes de terre.
- Je vais vous aider, proposa Mme Blau.
- Monsieur Hesping..." dit l'une des femmes.

Tout le monde se tourna vers la porte, dans l'embrasure de laquelle se tenait Emil Hesping, vêtu d'un costume neuf, le genre de neuf qui n'a encore jamais été porté. Les faux plis de son pantalon noir étaient impeccablement repassés, ses boutons de manchette en perle étincelaient. Il ressemblait à un jeune marié le jour de ses noces - sauf que tout le monde savait pertinemment qu'il était le premier à se moquer des gens qui se marient et à enfreindre le sixième commandement, alors même que son frère était évêque.

Il souleva Trudi. Malgré le sourire qu'il avait aux lèvres, elle comprit qu'il avait pleuré, tant ses yeux étaient rouges. "Je vais te raconter une blague que les petites filles peuvent raconter. A toi aussi, Eva." Il prit la main de la petite fille. "Voilà, c'est l'histoire d'un professeur qui a une chienne, Schatzi, à qui il interdit de se coucher sur le canapé. Mais, chaque jour, lorsqu'il part pour son école, Schatzi saute sur le canapé et dort dessus toute la journée. Et quand le professeur revient le soir à la maison, la chienne a beau être couchée par terre, il sait très bien qu'elle a dormi sur le canapé. Pourquoi ?"


Critique : Les mots ne viennent pas pour critiquer ce livre. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est magnifique. Tout simplement magnifique. Et le style l'est encore plus. Une histoire d'identité sur la différence d'un petit bout de femme ô combien touchant et attachant, si vivant, si criant de vérité et bien trop humain, qui se cherche pour essayer de comprendre sa différence pour peut-être l'accepter, dans un monde que Trudi ne comprend pas, au milieu d'une Seconde guerre mondiale qui s'étoffe petit à petit qu'Hitler prend le pouvoir. Et cette période de l'histoire décrite avec soins, passant par toutes ses étapes, ô combien fascinantes, est merveilleusement bien contée.
Ursula Hegi creuse dans Trudi la naine, un univers entier où chaque personnages sont des personnes à part entières, avec des secrets, des rêves et des mensonges, si vivantes. Elle creuse un monde envahit par le quotidien Allemand qu'on déguste avec délice. Et c'est dans cette terrible période historique qu'on découvre comment chaque personnage choisi de réagir.
La fin laisse à son goût, et quand on tourne la dernière page, le livre entre les doigts, on ne peut s'empêcher de rester la bouche grande ouverte, laissant un peu de temps avant de digérer ce livre de 730 pages qui se lit comme une merveille.
Au final, tout ce que je peut dire c'est qu'après avoir lu ce livre, vous n'allez plus regardez les nains de la même façon.

Un livre magnifique, touchant et beau, à lire immédiatement.

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