lundi 27 septembre 2010

Si c'est un homme


Titre : Si c'est un homme
Auteur : Primo Levi
Genre : Autobiographie, historique
Appréciation : J'ai adoré

Résumé : Primo Levi a vingt-quatre ans le 13 décembre 1943, lorsqu'il est fait prisonnier par la Milice fasciste. Il raconte le long voyage pour arriver à Auschwitz, dans des wagons à bestiaux, la centaine de personnes entassées dans de minuscules espaces, le manque d'eau, la séparation entre les hommes valides et les femmes, les enfants, les vieillards, envoyés directement aux chambres à gaz. Levi fait partie de ceux qui sont décrétés aptes au travail. Vient la description de la vie dans le Lager, les humiliations, les privations, les blessures physiques et psychologiques, le travail harassant, les effroyables conditions d'hygiène, les « sélections » pour l'envoi aux chambres à gaz de Birkenau, les rites absurdes, cyniques, la hiérarchie stupide et la logique aberrante des nazis, tout ce qui détruit les hommes, peu à peu, qui les réduits à l'état de bêtes.

Extraits :

Dans le train pour Auschwitz :
Une femme avait passé tout le voyage à mes côtés, pressée comme moi entre un corps et un autre corps. Nous nous connaissions de longue date, et le malheur nous avait frappés ensemble, mais nous ne savions pas grand chose l'un de l'autre. Nous nous dîmes alors, en cette heure décisive, des choses qui ne se disent pas entre vivants. Nous nous dîmes adieu, et ce fut bref : chacun prit congé de la vie en prenant congé de l'autre. Nous n'avions plus peur. »

Arrivés à Auschwitz, après la « préparation » où on enlève leurs affaires aux juifs, et juste avant qu'ils ne soient marqués au fer rouge :

Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d'un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond. Il est impossible d'aller plus bas : il n'existe pas, il n'est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre. Plus rien ne nous appartient : ils nous ont pris nos vêtements, nos chaussures, et même nos cheveux ; si nous parlons, ils ne nous écouteront pas, et même s'ils nous écoutaient, ils ne nous comprendraient pas. Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulions le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, ce que nous étions, subsiste. »
Dans le camp :
Poussé par la soif, j'avise un beau glaçon sur l'appui extérieur d'une fenêtre. J'ouvre, et je n'ai pas plus tôt détaché le glaçon qu'un gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l'arrache brutalement. « Warum ? » dis-je dans mon allemand hésitant. « Hier ist kein warum » (ici il n'y a pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l'intérieur.
L'explication est monstrueuse, mais simple : en ce lieu, tout est interdit, non certes pour des raisons inconnues, mais parce que c'est là précisément toute la raison d'être du Lager [du camp]. Si nous voulons y vivre, il faudra le comprendre, et vite. »
Alors que Levi est au K.B. (l'infirmerie) :
Au moment de la distribution du pain, on entend au loin, dans le petit matin obscur, la fanfare qui commence à jouer : ce sont nos camarades de abarque qui partent travailler au pas militaire.
Du K.B. on n'entend pas très bien la musique : sur le fond sonore de la grosse caisse et des cymbales qui produisent un martèlement continu et monotone, les phrases musicales se détachent par intervalles, au gré du vent. De nos lits, nous nous entre-regardons, pénétrés du caractère infernal de cette musique.
Une douzaine de motifs seulement, qui se répètent tous les jours, matin et soir : des marches et des chanson populaires chères aux cœurs allemands. Elles sont gravées dans notre esprit et seront bien la dernière chose du Lager que nous oublierons ; car elles sont les voix du Lager, l'expression sensible de sa folie géométrique, de la détermination avec laquelle les hommes entreprirent de nous anéantir, de nous détruire en tant qu'hommes avant de nous faire mourir lentement.
Quand cette musique éclate, nous savons que nos camarades, dehors dans le brouillard, se mettent en marche comme des automates ; leurs âmes sont mortes et c'est la musique qui les pousse en avant comme le vent les feuilles sèches, et leur tient lieu de volonté. Car ils n'ont plus de volonté : chaque pulsation est un pas, une contraction automatique de leurs muscles inertes. Voilà ce qu'ont fait les Allemands. Ils sont dix mille hommes, et ils ne forment plus qu'une même machine grise ; ils sont exactement déterminés, ils ne pensent pa,s ils ne veulent pas, ils marchent."


Critique : J'ai lu ce livre, contrairement à mes habitudes, en plusieurs fois — je veux dire moins d'un chapitre par jour. Car il faut tenir. L'écriture est magnifique, à la fois simple et poétique, et surtout détachée, presque comme s'il s'agissait d'une analyse sociologique ; mais chaque phrase est une lame chauffée à blanc.
Les conditions de vie des prisonniers sont tellement épouvantables que j'ai été obligée de me répéter que tout cela avait vraiment eu lieu. Que ce n'était pas un récit de science-fiction contre-utopique. Oui, il a existé cet inhumanité, ces tortures, ces prisons à ciel ouvert, et surtout cette réduction d'hommes à l'état de bêtes, censés laper leur gamelle comme des chiens, traîner leurs fardeaux au travail comme des bœufs, et se ressembler, suivre le mouvement, tous, comme des moutons.
Un des passages marquants est d'ailleurs celui où Steinlauf, l'un des prisonniers, fait réaliser à Primo Levi l'importance de continuer à se laver, à cirer ses chaussures, à se respecter pour rester un homme, alors que tous ces gestes semblent ne plus avoir aucune importance.

D'ailleurs, les SS aussi sont comme des animaux. Une telle haine d'un peuple, l'acceptation d'une telle souffrance en face de soi, relève plus du comportement animal que d'une attitude poussée par la raison. Tout ça parce qu'ils avaient eu le malheur de naître dans une famille juive, parfois sans être pratiquants, ou de croire en un dieu qui n'était pas celui des "aryens". Il n'y avait naturellement aucune logique dans tout ça, alors les nazis en ont trouvé une. Tu parles d'un système...

Dans le camp, il n'y a plus de notion de bien ni de mal, seulement la vie ou la mort. La seule chose qui, un jour, fait oublier sa souffrance à l'auteur, est la poésie, lorsqu'il récite en italien un extrait de l'Enfer de Dante, à un français qui aimerait apprendre sa langue. Pour le lecteur non plus, le bien et le mal n'existent plus. La douleur qui suinte des pages de ce livre est plus grande, plus forte, et quand on parvient à s'arracher de sa lecture, le monde autour de nous nous paraît absurde. Surtout le fait de mettre une quelconque appréciation sur ce livre ; je n'ai pas détesté, je n'ai pas adoré, ce n'était même pas un sentiment mitigé, simplement l'oppression et l'envie de continuer, d'aller jusqu'au bout, de savoir, parce que cela signifie continuer à vivre.

1 commentaire:

Rosemonde a dit…

J'avais longtemps entendu parler de ce livre, ma mère l'avait lu et je m'étais dit que je le lirais aussi. Maintenant c'est sûr, je vais l'attaquer, mais une tonne de bouquins m'attendent encore...

J'ai moi aussi fini un livre sur la Seconde Guerre mondiale :)