vendredi 8 janvier 2010

No et Moi


Titre : No et moi
Auteur : Delphine de Vigan
Genre : Histoires de vie
Appréciation : Coup de cœur

Résumé : Lou a 13 ans, un QI de 160 et des questions plein la tête. Elle est fille unique dans une famille brisée par la mort de leur deuxième enfant, et pour apprivoiser ce monde effrayant, Lou invente des théories, fait des expériences avec les emballages Picard, et rouleaux de papier toilette et les tickets de métro. A la gare d'Austerlitz, elle rencontre No, une jeune fille sans-abri d'à peine dix-huit ans. Elles échangent quelques mots, et au fur et à mesure des conversations, Lou découvre peu à peu le monde de No, la vie réduite à néant, les queues interminables pour avoir à manger dans les centres d'accueil, les nuits sur le trottoir. et elle voudrait que tout ça change. Que la Terre change de sens, que la réalité ressemble aux publicités de parfum, que chacun se sente à l'aise dans ce monde étrange. Et elle décide de sauver Nolwenn, de lui donner tout ce dont elle a besoin, à commencer par une maison et une famille. Coûte que coûte.

Extrait :
« Il y a quelques jours, Mouloud est mort. Depuis dix ans il vivait dans la rue, dans notre quartier. Il avait sa grille de métro, au croisement de deux rues, dans un renfoncement, juste à côté de la boulangerie. C'était son territoire. Sur le trajet de l'école élémentaire, pendant quelques années, je l'ai vu là, tous les matins et tous les soirs. Les élèves le connaissaient bien. Au début, on avait peur de lui. Et puis on s'y était habitués. On le saluait. On s'arrêtait pour discuter. Il refusait d'aller dans les foyers parce qu'ils n'acceptaient pas son chien. Même quand il faisait très froid. Les gens lui donnaient des couvertures, des vêtements, de la nourriture. il avait ses habitudes au café d'en face, il buvait du vin dans des bouteilles en plastique. Pour Noël, on lui offrait des cadeaux. Mouloud était kabyle, il avait les yeux bleus. Il était beau. On racontait qu'il avait été ouvrier chez Renault pendant dix ans, et puis un jour sa femme était partie.
Mouloud a eu un malaise, on l'a emmené à l'hôpital, et le lendemain on a su qu'il était mort d'une embolie pulmonaire. Mon père à appris la nouvelle par les propriétaires du café. Là où Mouloud s'était installé, les gens ont commencé à coller des affiches, des lettres, des hommages, et même une photo de lui. Ils ont allumé des bougies et déposé des fleurs. Le vendredi suivant il y a eu un rassemblement, une centaine de personnes sont venues autour de sa tente qui était restée là, personne n'avait voulu y toucher. Le lendemain Le Parisien a publié un article sur Mouloud, avec une photo de son coin transformé en autel.

La dame du bar d'en face a recueilli le chien de Mouloud. Les chiens on peut les prendre chez soi, mais pas les SDF. Moi je me suis dit que si chacun d'entre nous accueillait un sans-abri, si chacun décidait de s'occuper d'une personne, une seule, de l'aider, de l'accompagner, peut-être qu'il y en aurait moins dans la rue. Mon père m'a répondu que ce n'était pas possible. Les choses sont toujours plus compliquées qu'il y paraît. Les choses sont ce qu'elles sont, et il y en a beaucoup contre lesquelles on ne peut rien. Voilà sans doute ce qu'il faut admettre pour devenir adulte.
On est capable d'envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l'espace, d'identifier un criminel à partir d'un cheveu ou d'une minuscule particule de peau, de créer une tomate qui reste trois semaines au réfrigérateur sans prendre une ride, de faire tenir dans une puce microscopique des milliards d'informations. On est capable de laisser mourir des gens dans la rue. »

Critique : J'ai absolument adoré ce livre, qui décrit avec simplicité et à travers la vie de No, l'enfer de la vie dans la rue, les déplacements incessants de maison en maison, de gare en gare, de pont en pont, de foyer d'accueil en foyer d'accueil, avec pour seul bagage son corps maigre et refroidi par l'hiver et la misère, la violence dans les centres d'accueil, notamment de la part des hommes envers les femmes, les nuits à même le trottoir, le boulot introuvable sans adresse fixe. J'ai adoré les réflexions que se fait Lou à elle-même, sur la vie, le monde, la tristesse, la violence, avec un langage magnifique. J'ai aussi aimé le style de l'auteur, qui passe de phrases très courtes à des phrases longues, remplies de virgules, où plusieurs personnes parlent sans que ce soit annoncé par des tirets ou des guillemets, parce que la vie est comme ça, tantôt simple, tantôt crue, ou tendre, ou violente, ou foisonnante de réflexions à noter, qu'on oublie de noter et qu'on oublie tout court. On a très vite les larmes au yeux si on est un tant soit peu sensible, mais j'ai eu un tel plaisir à lire ce livre, qui d'ailleurs se lit rapidement, qu'on le déguste ou qu'on le dévore. Un projet d'adaptation au cinéma est en cours... Je pense que ce livre, comme L'élégance du hérisson (Muriel Barbery) peut être apprécié à n'importe quel âge.

3 commentaires:

Rosemonde a dit…

J'avais déjà repéré ce livre dans un magasine et le résumé m'avait donné envie de le lire. Mais maintenant, vu t'a critique, je crois vraiment que je vais le lire !
Et dit donc, je trouve que tes critiques sont vachement plus complexes que les miennes... snif... Mais ta critique est génial !

Rosemonde a dit…

PS : Excuse si j'ai modifié quelques trucs de présentation dans ton article^^

Kimaali a dit…

Merci (pis elles sont très bien, tes critiques, d'ailleurs) ! Au contraire, pour les trucs de présentation, justement, vas-y : je n'ai pas l'image des guillemets en réserve dans mon ordi, par exemple... @+ !