samedi 23 avril 2011

(film) Tomboy


Réalisé par Céline Sciamma
Avec Zoé Héran, Malonn Lévana, Jeanne Disson, Sophie Cattani, Mathieu Demy
Date de sortie cinéma : 20 avril 2011
Genre : Drame
Durée : 1h22

Synopsis : Laure a 10 ans. Laure est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa et sa bande qu’elle est un garçon. Action ou vérité ? Action. L’été devient un grand terrain de jeu et Laure devient Michael, un garçon comme les autres… suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse. Laure profite de sa nouvelle identité comme si la fin de l’été n’allait jamais révéler son troublant secret.

(Sources : AlloCiné)

Critique : C'est d'abord un beau film, au sens purement esthétique du terme. Les images sont magnifiques, celles de la forêt surtout ; et le cadre pourtant banal, celui d'une cité, devient un grand tableau (impressionniste).
Ensuite, c'est une belle œuvre parce qu'elle va au-delà de l'émotionnel. Tout est filmé avec beaucoup de justesse, de délicatesse. En voyant les enfants jouer dans leur immeuble, j'ai eu l'impression de voir mes copains au même âge (ce n'est pas si loin !). Ils sont pris simplement, crus, comme ils sont là accrochés à la vie sans même s'en rendre compte.
C'est un film qui parle de la cruauté de la vie, dès l'enfance, et même peut-être plus entre enfants qu'entre adultes.
 
Les adultes disent que c'est un film qui parle aussi d'homosexualité, et décrit comment, déjà à 10 ans, on peut être influencé par les tabous imposés par la société. C'est vrai en un sens, mais je vois surtout une interrogation sur la difficulté, parfois, d'assumer son sexe. Non, ce n'est pas facile d'être une fille. Toutes les filles n'ont pas envie de se maquiller, toutes les filles ne demandent pas à être « féminines », au sens où la société le voit. Toutes les filles ne sont pas fières d'êtres ce qu'elles sont, pas réjouies à la perspective d'être une future femme, de grandir physiquement, d'avoir ses règles, etc.
Je dis ça parce que ça m'a pas mal concernée au même âge. Je dis ça parce que l'image de la femme, ou de l'idéal féminin, donnée par la publicité, les magazines, se résume en général à shopping, cuisine, problèmes conjugaux parce que quand même faut être modernes. Ce n'est pas une œuvre féministe, mais c'est comme ça que je vois les choses.

Et puis il y a la relation avec les adultes. « Un jeu de non-dits pousse le spectateur à projeter ces situations d'enfance sur les malentendus, complexes ou calvaires vécus par des adultes. [...] Le détonateur de l'enfermement dont sera victime Laure/Michaël est déclenché par les adultes » dit Jean-Luc Doin dans Le Monde. Finalement, les adultes s'introduisent dans le jeu des enfants. La mère essaie de justifier sa colère vis-à-vis de Laure en lui disant qu'il faut bien que les enfants se rendent compte un jour qu'ils ont été trompés. Elle est en fait, sans vouloir l'avouer, attachée aux convenances, conforme dans ses idées à ce que la société veut bien accepter.
La petite sœur de Laure, au contraire, se prend au jeu, ne voit pas en quoi ce serait gênant que sa sœur soit un frère. La position d'une enfant de 6 ans est sans doute plus juste que celle de sa mère.
Alors si Laure l'avait dit elle-même, est-ce que cela aurait été perçu de la même façon par les autres ? Est-ce que ce ce serait fini par le même cruel "tribunal" ? Y'a-t-il toujours besoin des adultes pour régler les problèmes qui, peut-être, n'appartiennent qu'aux enfants ?

Pour conclure, comme vous l'avez constaté, c'est un film qui pose des questions… C'est enrichissant, très beau, très touchant et et très vrai. Je suis contente de revenir sur ce blog avec ce film…


vendredi 22 avril 2011

La femme à venir


Titre : La femme à venir
Auteur : Christian Bobin
Genre : Histoire de vie, poésie
Appréciation : Coup de cœur

Résumé : "On est d'abord loin du livre, loin de la maison. On est d'abord loin de tout. On est dans la rue. On passe souvent par cette rue-là. La maison est immense. Les lumières y brûlent jour et nuit. On passe, on ne s'arrête pas. Un jour on entre. Dans la maison incendiée de lumière, dans le livre ébloui de silence, on entre. On va tout de suite au fond, tout au fond du couloir, tout à la fin de la phrase, tout de suite là. Dans la chambre aux murs clairs, dans le cœur noir du livre. On se penche au-dessus du berceau de mericier. On regarde, c'est difficile de regarder un nouveau-né, c'est comme un mort : on ne sait pas voir. On s'attarde, on se tait. On regarde la petite fille endormie dans le berceau de lumière.

Albe, c'est son nom."

(Résumé repris du livre)

Extrait :

Albe accompagne le père aux vernissages, dans les galeries, partout. Elle traite pour lui avec les marchands. Une vraie petite femme d'affaires, âpre, dure. Elle prend aussi les appels, classe le courrier, éloigne les importuns d'un sourire. Quelques esquisses dans un carton, elle entre dans les galeries, chez des éditeurs. La quête du succès a depuis longtemps affadi le goût de ses interlocuteurs. L'art, ils s'en foutent. C'est bon pour les génies et les crétins, cette histoire. Avant donc de regarder les peintures, c'est Albe qu'ils dévisagent. La sournoiserie d'un désir leur donne une voix douce, des manières calmes. Elle connaît ces ruses, d'instinct. Elle voit ces gens riches et cultivés comme ils sont : de sales enfants capricieux. Elle n'entre pas dans ces jeux. Elle s'adresse en eux à la noblesse qu'ils n'ont jamais eue. Et c'est le miracle : les voilà désarmés, simplifiés par sa fraîcheur. Menés par le bout du nez par une gamine de dix-sept ans. Ils écoutent, ils regardent : les tableaux - on dirait à présent des icônes - sont plus clairs encore que cette jeune fille. Ils achètent, conviennent d'une exposition, provoquent des articles.

Cela, c'est pour les fins de semaine. Pour les autres jours, il y a le lycée, la découverte des grands auteurs. Baudelaire Charles. Rousseau Jean-Jacques. Albe fait l'appel chaque soir, dans son lit. La lecture, c'est pratique, ça vous prend dans ses bras et ça vous emmène toute légère jusqu'au sommeil, jusqu'à l'oubli. Albe a ainsi beaucoup de petits fiancés sur sa table de nuit. Ils l'attendent durant le jour. Elle ne sait jamais à l'avance lequel éclairera sa soirée.

Critique : C'est beau. C'est clair. C'est frais. C'est juste. C'est fleuri, c'est comme du coton, blanc, pur, dès qu'on a les doigts mouillés on en met plein partout, c'est fragile et délicat, et beau. Si beau. Si beau que des larmes ont fleuries de mes yeux, si beau que la Terre s'est évanouit sous mes pieds. Si beau que ça donne envie d'écrire comme ça, comme celui-là, comme Christian Bobin, comme cette écriture si belle et si simple. Si parfumée de printemps, de tristesse et de mélancolie. Monotone comme l'automne. Si belle que l'on a un coup de cœur face à cet écrivain et on est soulagé d'apprendre que notre maman en a plein sa bibliothèque de ses livres là, alors on les lui pique pour les poser dans la nôtre, de bibliothèque, rien qu'un instant, rien qu'un moment. Pour les lires, puis les reposer à leur place, bien rangés à côtés des autres auteurs préférés de notre mère, notre sauveuse, notre génitrice. Alors je continue à vivre et à contempler le bonheur simple et beau, en savourant la pensée que j'ai en ma possession six autres livres de cet auteur, en fouillant bien un peu partout dans cette jolie maison. Un bonheur.
Et l'histoire, quand à elle, que donne-t-elle, l'histoire ? Merveilleuse. Concordant avec l'écriture, concordant avec cette poésie qui file comme le vent, qui glisse le long des doigts, qui frise et sonne comme une merveille. Albe est un prénom magnifique que je vais vite fait de piquer pour mes histoires d'anges. Et la vie sonne comme une merveilleuse lumière. Albe donc, Albe, ce tout d'abord nouveau-né qu'on voit grandir au fil des pages, petite fille puis adolescente avant d'être une femme qui vit dans un monde de poésie et d'art. Dans ce monde de désir et de beauté. Albe. Alme. Alne. Alge. Alze. Alre. Alse. Alde. Un beau nom. Un beau mot.

Très belle la photo sur la couverture. Toutes comme ça les couvertures de Christian Bobin. Des photos en noir et blanc. Ou presque.